Un voyage fait de contrastes et de similitudes. Passer une frontière à pied ou en bus permet d'apprécier les différences entre les cultures, parfois subtiles, presque inexistantes, et d'en suivre l'évolution tout au long du pays jusqu'à la frontière suivante. Comme admirer les chutes de Niagara du coté canadien ou du point de vue américain. Laisser Puno pour Copacabana, Taquile pour l'Île du Soleil, une communauté aymara pour une autre. Et toujours le lac Titicaca. La permanence culturelle, entre les créoles de Santo Domingo et ceux de Cartagena. Entre les descendants d'immigrés installés le long des Andes patagoniques, en Argentine comme au Chili. Les serveurs mexicains de San Francisco, les malls et les voitures américaines au Mexique. Mais aussi tous ces contrastes, d'un Cuba comuniste à la République Dominicaine, pauvre et malgré tout consumériste. De la Bolivie authentique, sous-développée, à forte majorité indigène, et l'Argentine fière et européenne, qui se relève enfin de ses années de crise. Des mariachis à la culture noire américaine.
Traverser un continent, évoluer au sein d'un kaléidoscope de cultures, passer de surprise en surprise, parler aux gens et s'impreigner comme des éponges de tout ce que l'on voit. Tout un programme, mais au jour le jour il s'agit simplement de vivre, de s'organiser dans un environnement mouvant et d'avancer, un endroit après l'autre. Trois jours au même endroit, un peu moins, un peu plus, avec une journée de transition pour le transport, souvent de nuit, et la quête constante d'informations. Où dormir, en premier lieu, où manger, une question toujours facile à résoudre mais qui occupe une grande partie de notre temps, juste pour le plaisir. Et les endroits à visiter, à choisir sur base d'une foule d'informations: le guide, le centre d'information quand il existe, les autres voyageurs, l'hostel, internet, etc. Avec parfois des temps morts, ces demies journées perdues mais tellement utiles, à actualiser le blog, envoyer des mails, trier des photos.
Les gens pensent qu'en voyage ils auront le temps de faire tout ce qu'ils laissent de coté dans la vie normale: lire, écrire, étudier, penser à l'avenir, préparer un changement radical pour le retour. Mais le voyage lui-même absorbe tout notre temps, toute notre attention, et presque toute notre énergie. C'est une vie de court terme, et les nombreux moments de pause sont difficiles à mettre à profit. Dans les bus par exemple, les virages ne laissent pas le loisir de lire, les films font passer le temps, les routes chaotiques incitent au sommeil. Dans les hostels on retrouve un semblant de confort mais l'entourage est toujours présent, animé, en recherche de contact, de partage d'expérience. On ne prend que rarement le temps de s'arrêter pour réfléchir, et le fait d'écrire, sur papier comme sur le blog, et d'échanger à deux nos impressions ou nos souvenirs, nous aide à intégrer la diversité du vécu.
En voyage la perception du temps est très ambivalente: les 200 jours sont passés vite, toujours en mouvement, sans distinguer la semaine du week-end, sans fête nationale ni vacances scolaires. Les saisons elles-mêmes n'ont plus d'utilité, la pluie nous poursuit d'un hémisphère à l'autre, il neige en France et c'est l'été au Pérou, mais passés les 4000 mètres d'altitude il y fait plus froid qu'au Canada. Et pourtant ces 200 jours me semblent rétrospectivement plus longs qu'une année complète de routine, de par leur richesse et leur diversité. Ce rythme d'un jour après l'autre, d'une ville après l'autre, pas à pas. Joue aussi l'absence presque complète de stress, cette tension qui depuis des années fait défiler les jours de la semaine, sans savoir vraiment à quoi sert toute cette dépense d'énergie. Une année de voyage c'est long, suffisamment pour réduire l'inquiétude du temps qui passe. Qui en vacances ne s'est pas réveillé en pensant: il me reste combien de jours? C'est une période assez longue pour en profiter tranquillement, sans en voir la fin même quand elle se rapproche. Et pour savoir qu'après tout ce temps sur les routes, le retour sera forcément le bienvenu, même s'il nous restera d'innombrables endroits à voir, et même si chaque endroit nouveau nous donne envie de prolonger un peu pour en profiter tranquillement. Ya que estamos... Mais on pourra toujours revenir, un jour.
Et au retour des gens nous attendent, la famille, les amis, une région magnifique, et plein de projets. D'autres lieux à visiter, aussi, maintenant l'Europe va nous sembler toute petite! Après le Cotopaxi les volcans d'Auvergne, après le chemin Inca celui de Saint Jacques de Compostelle, après les pyramides les chateaux de la Loire.
En attendant il nous reste encore quelques mois et un bout d'Asie à visiter, avec un changement radical de culture et beaucoup de problèmes de communication en perspective. Il faudra innover. Jusqu'à présent nous avons pu parler dans nos langues natales et d'adoption, avec un peu d'anglais au milieu. Et en repensant à ces nombreux mois de voyage, ce qui change notre perception des endroits visités réside dans la façon de pouvoir partager nos impressions, d'échanger avec autrui. Les gens locaux, en premier lieu, les gens de passage aussi, les voyageurs comme nous, les amis que l'on retrouve en chemin. Et surtout le fait de voyager à deux, qui conditionne toute notre expérience. A deux le rapport aux autres est plus facile dans certains cas, et plus compliqué dans d'autres, souvent moins superficiel car l'autonomie que confère le couple limite les contacts passagers.
Il faut aussi apprendre à voyager en couple, car cette vie commune n'a pas grand chose à voir avec la vie commune habituelle, quand chacun a ses occupations, son travail, sa vie sociale. Les détails prennent de l'ampleur, être d'accord sur tout se révèle à la fois nécessaire et impossible, et vivre chaque minute ensemble quitte le plaisir de se retrouver en fin de journée. Mais au-delà de ces inconvénients le voyage donne une réelle opportunité de connaitre l'autre, dans des circonstances nouvelles, parfois difficiles mais toujours uniques, et d'apprendre à tout partager. En voyage l'autre est une constante, un support, une pointe de stabilité qui fait oublier un peu l'éloignement et l'absence de repère. La lune de miel devrait être beaucoup plus longue, et de préférence antérieure au mariage!
Un grand merci à Mario, pour m'avoir supportée pendant 200 jours. Merci à tous les amis qui nous ont accueillis, et qui pour quelques jours nous ont fait partager leur vie. Merci à tous ceux qui nous sont venus nous rejoindre, pour faire ensemble un bout de chemin. Et à ceux que nous avons connus en route, dans un bus, une excursion, un hotel, étrangers ou locaux, et que l'on aimerait bien revoir un jour.
Merci à Elyse et Minot, et à Virginie, pour nous donner une vision plus frenchie et friendly de la vie aux States; à Vane et Lalo, pour leur accueil et leur aide au pire moment de nos aventures mexicaines; à tous les amis d'Aguascalientes, Karen, Paty, Lalo, Ricardo, Claudio, pour me rappeller le bon vieux temps; à Isa, Erika et Torito, pour le logement à Guanajuato en plein Cervantino; à Alma Rosa pour une semaine de visite guidée de Mexico DF; à Victor pour nous faire découvrir son nouveau pays au milieu des transports dominicains; à Juan Pablo, Lupita et Silvio pour nous supporter au Mexique, nous suivre en Colombie, et nous accueillir pour les fêtes de fin d'année; encore merci à leur famille de Popayan pour les décorations de Noël, el pan de mono, les cours de salsa; à Eric pour nous accompagner au Cerro Monserrat; à Carlos, Sandra et Valentina, pour ce déjeuner inoubliable à Andrés Carne de Res; aux Bedos de Carcassone, pour égayer notre séjour, de Lacatunga à Baños; à Wilfredo pour nous faire partager l'histoire de ses ancêtres; à tous ceux qui nous ont accompagnés, sous la pluie, jusqu'au Macchu Pichu; à Puma pour nous guider à travers l'expérience de la Ayahuasca; à Titin pour traverser l'océan et la moitié de l'Argentine avec nous; à David et Victor pour l'emmener sain et sauf à Iguazu; à Roberta, Delfo et Cosmo, pour leur accueil imprévu et incroyable à Buenos Aires; à Matia pour les pates, et à Valeria pour ses conseils; à Laia pour partager avec nous toutes ces heures de bus le long de la Patagonie, en mangeant des légumes boullis; à Sergio pour nous donner une vision différente du Chili et des zapatistas; à Pablo pour nous trouver des places au stade du Boca, pour nos derniers jours à Buenos Aires...
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De Santiago |
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